C’est une très méchante manière de raisonner que de rejeter ce que l’on ne peut comprendre.
– René de Châteaubriand
Un ami, spécialiste du web, me disait récemment que les internautes, en moyenne, ne lisaient que l’introduction d’un texte avant que d’être happés par un hyperlien qui les mène vers un autre texte, vers une autre introduction, vers un autre hyperlien, qui les mène, à son tour, vers un autre texte, une autre introduction et un autre hyperlien…
Comment pouvait-on, me demandait-il, en accumulant les introductions, comprendre un enjeu ou un problème? Considérant que la compréhension (le cum prehende latin) signifiela capacité à saisir l’ensemble, comment peut-on comprendre quoi que ce soit en ne cumulant que les introductions sans développements ou conclusions?
Au même moment, force est de constater que, malgré la quasi impossibilité de saisir l’ensemble, les internautes semblent n’éprouver aucune gêne lorsque vient le temps de commenter, d’énoncer un « pour ou contre » à une situation qui n’a été survolée qu’à coup d’introductions.
Aurait-on, au fil du temps, confondu l’acte de raisonner avec celui de résonner?
Le raisonnement consiste essentiellement à faire usage de sa raison afin de former un jugement dans une situation particulière. Le raisonnement cherche à prouver en vue de convaincre; pour ce faire, il soulève des objections, il réplique à d’autres arguments. Le raisonnement repose sur une analyse systématique des faits en rapport à une situation bien définie.
Le raisonnement sert d’assise à la délibération qui, elle constitue l’acte de réfléchir mûrement afin de prendre une décision. La délibération a comme objectif de décider de quelque chose. La délibération est un concept actif qui nous implique directement. On délibère en vue d’agir; en éthique, on délibère en vue d’agir de manière juste, dans l’esprit des valeurs d’une entreprise ou d’une société. Au terme de la délibération, on est habituellement en mesure de former une réelle opinion puis d’agir.
Résonner, pour sa part, est l’action de renvoyer des sons, de faire écho ou de rebondir; la résonnance représente la capacité d’accroître l’intensité ou la durée d’un son. Lorsque l’on entend que « les médias sociaux résonnent d’une nouvelle XYZ », il faut comprendre que le bruit de la nouvelle se répercute sur ces médias et non pas qu’une quelconque pensée est à l’œuvre dans ces mêmes médias. Au final, il semble que les médias sociaux résonnent plus qu’ils ne raisonnent.
Malgré leur homophonie, un gouffre sépare ces deux termes qui représentent, pour le premier, la capacité de penser et, pour le second, celle de répéter.
Aucun problème éthique ou problème social n’a jamais été résolu par la simple répétition d’introductions ou de sons sans le sens.
En 2019, rappelons-nous qu’il est impossible de tirer des conclusions à partir de l’accumulation d’introductions.
En 2019, raisonnons avant de résonner.