Peut-on réduire la crise de la Covid à une lecture statistique des soubresauts de l’épidémie?

Notre directrice de projets, Sophie Hamel-Dufour, réagit à l’article de Messieurs Allaire et Firsirotu publié dans La Presse du 1er octobre 2020.

 

Vous me voyez déçue  que deux hommes de la trempe de Messieurs Allaire et Firsirotu, dans leur texte «L’étrange deuxième vague», ne réduisent la situation de la crise épidémiologique qu’aux statistiques. Leur approche élude complètement les nuances et la complexité de la situation. Pire. En ces temps houleux, offrir une vision tronquée contribue non pas à l’esprit critique, mais à la méfiance et à la défiance.

Osons la question : Quelle pertinence y a t-il à juger la gestion de la crise sanitaire en ne s’appuyant que sur des statistiques?

Socialement, les statistiques jouissent d’un argument d’autorité inégalé, comme si elles détenaient la vérité et que l’on pouvait même s’y fier les yeux fermés. Pourtant, les statistiques n’offrent, dans les faits, qu’une vision partielle, souvent partiale de la réalité. En effet, dans l’actuelle crise sanitaire, les statistiques ne disent rien des douleurs, des doutes, des hésitations chez les patients et les soignants. Les statistiques ne disent rien, non plus, de la souffrance collective de l’ensemble des citoyens. Pire encore, les statistiques taisent l’inévitable arbitrage éthique que les politiciens font afin d’assurer la paix sociale, la santé et la sécurité collective.

Ainsi, le risque est grand de réduire la complexité de la crise de la Covid à une courte appréciation statistique, car cette simplification laisse croire, chiffres à l’appui, que les solutions seraient évidentes et faciles à appliquer. C’est à ce moment que survient l’inévitable choc avec la réalité : les évidences statistiques promues par les auteurs se cassent les dents par omission. Ces évidences statistiques, qualifiées par eux d’inéluctables, excluent l’immense part d’humanité que sont les valeurs, les intérêts et les croyances. Sans cette part d’humanité, l’évidence statistique ne peut prétendre guider de manière éclairée les autorités.

Face à la crise qui se prolonge, le Premier ministre devra prendre appui sur des assises autres que les seules statistiques, au risque de perdre – davantage – la confiance de la population.

Les choix à venir seront nombreux et douloureux et ne peuvent être réduits qu’à des chiffres. Les autorités font et feront face à l’inconnu, qui, lui non plus, ne se résume pas par une tirade chiffrée. En matière de décision éclairée, l’assise la plus solide se trouve dans l’humanité offerte par l’éthique, car l’éthique permet que les décisions soient – et demeurent – justes dans les circonstances. Les valeurs qui guideront l’éthique du Premier ministre devront être claires ; il ne devrait pas hésiter à les partager avec la population.